Certains traits, anodins en apparence, génèrent une fatigue sociale bien plus tenace qu’un simple impair ou une faute de goût. Ce n’est pas la gravité morale qui dérange, mais cette usure invisible, celle qui s’installe et grignote l’envie d’échanger. Les études en psychologie sociale le confirment : parmi toute la gamme des habitudes, une seule, d’une banalité confondante, s’impose systématiquement comme la plus rédhibitoire.
Peu importe la latitude ou le contexte : ce comportement déclenche les mêmes soupirs d’agacement de Tokyo à Paris. À force, il coupe les ponts, provoque des silences, puis fait disparaître toute envie d’échanger. L’exclusion s’installe à bas bruit, la communication se délite, et le cercle se referme.
Pourquoi certaines personnes paraissent-elles si ennuyeuses ?
Les scientifiques sont unanimes : l’impression de s’ennuyer face à quelqu’un tient moins à sa personnalité qu’à la manière dont il occupe la conversation, inlassablement. Wijnand van Tilburg, chercheur en psychologie à l’université d’Essex, l’a montré : la routine, l’absence de surprise, tuent la stimulation intellectuelle ou émotionnelle. Dans le Personality Social Psychology Bulletin, une large enquête révèle d’ailleurs que certains métiers, expert-comptable, notamment, semblent concentrer, dans l’imaginaire collectif, le plus fort sentiment d’ennui.
Mais ce n’est pas le contenu des échanges qui lasse, plus que leur forme. Les personnes jugées « ennuyeuses » ressassent les mêmes histoires, ne nuancent jamais leur propos, laissent l’humour au vestiaire. Ce sont souvent l’enchaînement de détails techniques, l’absence de questions ouvertes, le déficit d’écoute qui rendent la relation pesante.
Conséquence directe : un impact social bien réel. L’isolement se renforce, l’ostracisme gagne du terrain. Selon l’équipe de van Tilburg, fréquenter une personne perçue ainsi mine le moral, abîme la confiance en soi et conduit à un sentiment d’exclusion difficile à enrayer. Plus la personne se sent évitée, plus elle s’enferme dans la répétition, et le cercle devient vicieux.
Voici les habitudes qui reviennent le plus souvent dans les études et témoignages :
- Monotonie des récits
- Absence de curiosité pour autrui
- Répétition excessive de routines
L’ennui, loin d’être neutre, laisse donc des traces profondes, aussi bien chez celui qui l’inspire que chez celui qui le subit.
L’habitude qui agace le plus : mythe ou réalité ?
L’enquête menée par l’équipe de Wijnand van Tilburg à Essex a permis de tordre le cou à quelques idées reçues. Si la société adore épingler le collègue jugé insipide ou l’ami qui radote, la palme de l’habitude la plus insupportable ne revient ni aux bavardages sur le temps qu’il fait, ni à la manie des détails administratifs. Les données recueillies convergent : la routine, omniprésente, pèse bien plus lourd.
Les participants à l’étude identifient toujours la même source d’exaspération : les histoires ressassées, le manque de nouveauté dans les échanges. Quand la conversation tourne en circuit fermé, l’agacement grandit.
Tableau des perceptions selon les emplois :
| Métier | Proportion d’ennui perçue |
|---|---|
| Comptabilité | Élevée |
| Assurance | Élevée |
| Enseignement | Moyenne |
La profession n’explique donc pas tout. C’est la façon de raconter, de s’adresser à l’autre, qui fait la différence. La routine, lorsqu’elle s’invite dans la relation, agit comme un poison discret. Celui qui ne renouvelle jamais ses anecdotes, qui s’accroche aux mêmes sujets sans chercher à surprendre, se retrouve vite isolé. Cette spirale de lassitude s’auto-entretient, la peur de prendre des risques verbaux ou la fatigue du quotidien n’arrangeant rien.
Au fond, l’habitude la plus insupportable, c’est de ne jamais sortir du cadre. De ne rien offrir d’imprévu, de rester enfermé dans la répétition. Voilà ce qui, selon l’étude, explique qu’une personne devienne synonyme d’ennui, bien plus que son métier ou ses goûts personnels.
Petits comportements quotidiens, grands effets sur l’entourage
Réduire la personne jugée « ennuyeuse » à une caricature serait bien trop simple. Dans la vie réelle, une série de gestes minuscules, de réflexes imperceptibles, finissent par peser lourd dans l’équilibre d’un couple, d’une équipe ou d’un cercle d’amis. Parfois, un silence trop long, l’absence de réaction devant une blague, l’incapacité à rebondir sur ce que l’autre vient de dire, suffisent à installer un malaise diffus.
La répétition de comportements a priori inoffensifs, vérifier son téléphone sans cesse, revenir toujours sur les mêmes sujets, zapper l’écoute active, finit par créer une barrière invisible. Les psychologues de l’université d’Essex insistent sur ce point : additionnés, ces détails érodent la qualité de la relation. En couple, la lassitude s’installe, l’amour s’étiole, chacun se referme sur ses automatismes. Au travail, l’ennui devient viral, démobilisant peu à peu toute l’équipe.
Les attitudes qui font la différence sont les suivantes :
- Désintérêt manifeste pour les avis d’autrui
- Humour absent ou systématiquement ignoré
- Manque d’écoute et d’empathie
La solitude qui en résulte, analysée par Wijnand van Tilburg et ses collègues, n’est pas anodine. Elle accentue la vulnérabilité psychologique, favorise l’isolement, et rappelle à quel point ces petits riens du quotidien peuvent fragiliser l’estime de soi.
Des pistes pour éviter de devenir la personne que tout le monde fuit
Adopter un autre regard sur la conversation, c’est déjà amorcer le changement. Les psychologues sociaux recommandent de cultiver l’art de la curiosité : poser des questions, écouter sincèrement, rebondir. Dès que le dialogue devient vivant, l’ennui recule.
Accorder de la valeur à l’autre et exprimer sa reconnaissance, même pour les petites choses, sont autant de moyens de casser le pilotage automatique. Dire merci, souligner une qualité, reconnaître l’effort : ces gestes simples injectent de l’énergie et désamorcent la monotonie. D’après le Personality Social Psychology Bulletin, varier les tâches, introduire un soupçon d’inattendu, réveillent la créativité et insufflent de la nouveauté, même dans les routines les plus ancrées.
Voici quelques leviers concrets pour agir au quotidien :
- Variez les sujets abordés, même lors de réunions répétitives
- Accueillez la contradiction, source de dynamisme
- Accordez un espace à l’imprévu : laisser place à l’inattendu stimule la relation
Ces ajustements, aussi modestes soient-ils, apportent un souffle nouveau à la santé psychique. Les recherches menées à l’université d’Essex le montrent : injecter du changement, même en douceur, aide à contrer la spirale de l’isolement. Plutôt que de s’enfermer dans des habitudes, il y a là une invitation à renouveler chaque contact, à transformer la routine en terrain de jeu. Ce n’est pas tant la peur de s’ennuyer qui doit guider nos pas, mais l’envie de surprendre, et de se laisser surprendre.


